Premières Lignes #12

Hello ! Pour ce rendez-vous du mois de mars, j’ai choisi un livre dont on m’a dit qu’il était un peu « fondateur » dans l’urban fantasy et d’un auteur dont j’avais pas mal entendu parler, très populaire en Amérique, et que j’avais envie de lire : Neverwhere de Neil Gaiman. Sa dernière sortie sur la mythologie viking vous parle peut-être plus et sinon ce livre est tout d’abord le scénario pour la série éponyme qu’il a écrite et qui est sortie dans le début des années 2000 il me semble. Je n’en suis qu’au début pour le moment et j’accroche bien même si je ne peux pas réellement me prononcer définitivement !
Pour rappel, Premières Lignes est un rendez-vous crée par Ma Lecturothèque qui est censé avoir lieu toutes les semaines. Pour certaines raisons je le fais mensuel et il consiste à vous présenter les premières lignes d’un livre ou d’une lecture en cours. La liste des participant.e.s sera comme d’habitude en bas de l’article.

***

Pendant la soirée qui précéda son départ pour Londres, Richard Mayhew ne s’amusa guère.
Il avait débuté la soirée en s’amusant : il s’était amusé à lire les cartes d’adieu, à accepter les embrassades de plusieurs jeunes personnes de sa connaissance, pas franchement déplaisantes ; il s’était amusé de toutes les mises en garde contre les périls et les dangers de Londres, et du grand parapluie blanc imprimé d’une carte du métro londonien que ses amis lui avaient offert en se cotisant. Il s’amusait encore quand vint l’heure des premières pintes de bière. Et puis, à chaque nouvelle pinte, il constata qu’il s’amusait de moins en moins. Jusqu’à cet instant où, assis sur le trottoir, il grelottait devant le pub d’une petite bourgade d’Écosse, en se demandant s’il valait mieux être malade ou pas. Et il ne s’amusait plus du tout.
À l’intérieur du pub, les amis de Richard continuaient de célébrer son départ imminent avec un enthousiasme que Richard commençait à trouver inquiétant. Assis au bord du trottoir, serrant le poing sur son parapluie roulé, il se demanda si partir au sud pour Londres était vraiment une bonne idée.
— Faites gaffe, annonça une vieille voix cassée. Y vont vous faire circuler avant que z’ayez eu le temps de dire ouf. Ou vous fourrer au bloc, ça m’étonnerait pas non plus. Deux yeux perçants le fixaient, au milieu d’un visage crasseux, en forme de bec.) Ça va bien ?
— Oui, merci.
Richard était un jeune homme au visage ouvert, aux cheveux légèrement bouclés et aux grands yeux noisette ; il avait l’air fripé de quelqu’un qui se lève tout juste, ce qui lui conférait auprès du sexe opposé plus d’attrait qu’il ne le comprendrait ni ne le croirait jamais. Le visage crasseux s’adoucit.
_ Tiens, mon pauvre, dit-elle en fourrant une pièce de cinquante pence au creux de la main de Richard. Alors, ça fait combien de temps que t’es à la rue ?
_ Je ne suis pas à la rue, répondit Richard avec embarras en s’efforçant de restituer la pièce à la vieille. Je vous en prie – reprenez votre argent. Je vais très bien. Je suis simplement sorti prendre l’air. Je pars demain pour Londres, expliqua-t-il. Elle lui jeta un coup d’œil soupçonneux, avant de récupérer ses cinquante pence qu’elle fit disparaître sous les strates de manteaux et de châles qui l’emmitouflaient.
_ J’y ai été, à Londres, lui confia-t-elle. Et j’m’y suis mariée, à Londres. Mais c’était un sale type. Ma m’man m’avait prévenue, de pas me marier à l’extérieur. Mais j’étais jeune et j’étais belle, on le dirait pas maintenant, et j’ai écouté que mon cœur.
_ Je n’en doute pas, répondit Richard, gêné. La certitude qu’il allait vomir commençait peu à peu à s’estomper.
_ Ca m’a fait une belle jambe. J’y ai été, à la rue. Alors, je sais comment c’est, poursuivit la vieille. C’est pour ça que j’ai cru que z’étiez. Et z’allez faire quoi, à Londres ?
_ J’ai trouvé du travail, lui répondit-il fièrement.
_ Dans quoi ?
_ Euh, les placements financiers…
_ J’étais danseuse, fit la vieille. Et elle se déplaça en titubant sur le trottoir, tout en se fredonnant une mélodie indistincte. Puis elle se mit à tanguer d’un bord sur l’autre comme une toupie en fin de course, avant de s’immobiliser face à Richard.

_ Donnez vot’main, lui ordonna-t-elle. J’vais vous dire la bonne aventure. Il fit ce qu’on lui demandait. Elle posa la main du jeune homme dans sa vieille paume et la serra fermement, avant de cligner plusieurs fois des yeux, tel un hibou qui vient de gober une souris et ressent les premières atteintes de l’indigestion.
_ Z’avez un long chemin à faire, dit-elle, surprise.
_ Jusqu’à Londres.
_ Non, pas seulement. (La vieille observa un silence.) Pas un Londres que je connais, en tout cas. À ce moment, la pluie se mit à tomber doucement.
— Pardon, dit-elle. Ça commence par des portes.
— Des portes ? Elle hocha la tête. La pluie redoubla, tambourinant sur les toits et l’asphalte de la rue.
— J’me méfierais des portes, à vot’place. Richard se remit debout en vacillant un peu.
— D’accord, dit-il, indécis quant aux suites à donner à ce genre d’information. Je le ferai. Merci. On ouvrit la porte du pub ; la lumière et le brouhaha se répandirent dans la rue.
— Richard ? Ça va ?
— Ouais, ouais, ça va très bien. J’arrive tout de suite. » La vieille femme commençait déjà à descendre le trottoir d’une démarche flageolante, sous la pluie battante qui la trempait. Richard sentit qu’il devait faire quelque chose pour elle, mais il ne pouvait pas lui proposer de l’argent. Il se hâta sur ses traces, le long de la rue étroite, le visage et les cheveux dégoulinants sous la pluie froide.
— Tenez, dit-il. Il palpa la poignée du parapluie, à la recherche du bouton-pressoir qui le libérait. Soudain, un déclic, et le parapluie déploya une immense carte blanche du réseau du métro londonien, chaque ligne tracée avec une couleur différente, chaque station indiquée et nommée. La vieille femme accepta le parapluie avec gratitude et le remercia d’un sourire.
— Z’avez bon cœur, lui dit-elle. Parfois, y en faut pas plus pour garantir que z’en sortirez bien, partout où z’irez. (Puis elle secoua la tête.) Mais en général, ça suffit pas. Elle empoigna solidement le parapluie quand une rafale de vent menaça de le lui enlever ou de le lui enlever ou de le retourner. Elle enserra le manche de ses bras et se cassa pratiquement en deux face aux éléments. Puis elle disparut dans la pluie et la nuit, un dôme blanc couvert des noms de stations du métro de Londres : Earl’s Court, Marble Arch, Blackfriars, White City, Victoria, Angel, Oxford Circus… Sous l’emprise de la boisson, Richard se surprit à s’interroger. Y avait-il réellement un cirque à Oxford Circus, un vrai cirque avec des clowns, de gracieuses écuyères et des fauves féroces ? La porte du pub s’ouvrit à nouveau : une déferlante de vacarme, comme si le bouton de volume du pub avait été poussé au maximum.
— Alors, Richard, espèce de branleur ! C’est ton départ qu’on fête, merde ! T’es en train de tout rater. Il rentra dans le pub, son envie de vomir dissipée par l’insolite de la situation.
— T’as une tête de rat qui a bu la tasse, déclara quelqu’un.
— Tu n’as jamais vu de rat qui a bu la tasse, répliqua Richard. Quelqu’un d’autre lui tendit un généreux verre de whisky.
— Tiens, avale ça. Ça va te réchauffer. Tu sais, t’en trouveras pas, du vrai scotch, à Londres.
— Je suis sûr que si, soupira Richard. (L’eau de ses cheveux gouttait dans son verre.) Ils ont de tout, à Londres. Il engloutit le scotch, quelqu’un lui en apporta un autre, et après, la soirée devint floue, se morcela : par la suite, il se rappela uniquement ce sentiment qu’il allait abandonner un endroit minuscule, raisonnable et logique, pour une immensité d’âge et d’incohérences, et qu’il avait vomi sans pouvoir s’arrêter dans un caniveau gorgé d’eau de pluie, quelque part, au petit matin ; et une forme blanche, une espèce de petit scarabée rond qui s’éloignait de lui sous la pluie.
Le lendemain matin, Richard prit le train pour Londres, un voyage de six heures en direction du Sud, qui le conduirait jusqu’aux singulières tourelles gothiques de la gare de St. Pancras. Sa mère lui donna un petit gâteau aux noix qu’elle lui avait préparé pour le voyage, et une Thermos remplie préparé pour le voyage, et une Thermos remplie de thé ; et Richard Mayhew partit pour Londres, au trente-sixième dessous. » 

Elle courait désormais depuis quatre jours, une fuite décousue, désordonnée, à travers passages et tunnels. Elle avait faim, elle était épuisée, plus exténuée qu’on n’est en droit de l’être et chaque nouvelle porte s’avérait plus difficile à ouvrir. Au terme de quatre jours de fuite, elle avait trouvé une cachette, une minuscule tanière dans la pierre, dans les profondeurs du monde, et elle dormit enfin.

M. Croup avait loué les services de Ross au cours du dernier Marché Flottant, qui s’était tenu en l’abbaye de Westminster.
— Considérez cet homme comme un canari, expliqua-t-il à M. Vandemar.
— Il chante ?
— J’en doute. J’en doute franchement et totalement. (M. Croup passa une main dans ses longs cheveux orange). Non, mon bon ami, je pensais par métaphore, plutôt par allusion à ces oiseaux qu’on fait descendre dans les puits de mines. M. Vandemar hocha la tête, la compréhension commençant lentement à poindre : oui, un canari. Rien d’autre n’évoquait le canari chez M. Ross : il était massif presque aussi colossal que M. Vandemar extrêmement crasseux et parfaitement glabre. Et il ne parlait guère, bien qu’il ait mis un point d’honneur à déclarer aux deux hommes qu’il aimait bien tuer et qu’il était doué pour ça. La chose avait amusé MM. Croup et Vandemar un peu comme Genghis Khan se serait amusé des rodomontades d’un jeune Mongol après le pillage de son premier village ou l’incendie de sa première yourte ; il n’était qu’un canari et ne le savait pas. Ainsi donc, M. Ross ouvrait la marche, dans son T-shirt ignoble et son jean maculé, et M. Croup et M. Vandemar lui emboîtaient le pas, vêtus de leurs élégants costumes noirs. 

***

La fameuse liste :

La Chambre rose et noire
Au baz’art des mots
Light & Smell
Chronicroqueuse de livres
Les livres de Rose
Lady Butterfly & Co
Le monde enchanté de mes lectures
Cœur d’encre
Les tribulations de Coco
La Voleuse de Marque-pages
Vie quotidienne de Flaure
Ladiescolocblog
Selene raconte
Les lectures d’Angélique
Pousse de gingko
Rattus Bibliotecus
La Pomme qui rougit
Chat’Pitre
La Booktillaise
Lectoplum
Encore un livre
Le monde de Gulia
The Cup of Books
• Ma Lecturothèque
Le Parfum des Mots
Acurlywriter
Les lectures d’Emy
Songes d’une Walkyrie
Shury lecture
Aliehobbies

Par Sophie.


17 réflexions sur “Premières Lignes #12

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