Hello tout le monde ! Je suis de retour après une semaine de vacances dans le sud ! J’espère que les vôtres se passent toujours aussi bien. Comme je me replonge dans mes bouquins de cours pour tout de même préparer un peu ma rentrée, j’ai décidé ce mois-ci de vous présenter un livre que j’ai lu il y a un petit bout de temps, le premier tome des Portes du Secret de Maria V. Snyder, Le Poison Écarlate. J’avais beaucoup apprécié ce premier tome alors que j’avais eu plus de mal avec les deux tomes suivants et c’est la raison pour laquelle j’hésite à me lancer dans les trois derniers tomes en anglais. Je tenais tout de même à vous le présenter, notamment parce que j’ai repéré une autre série de la même autrice que j’aimerais lire. Peut-être que vous la re-croiserez sur le blog. 🙂 Pour rappel, le rendez-vous Premières Lignes a été instauré par Ma Lecturothèque – la liste des participant.e.s qu’elle publie se trouve en bas d’article – et consiste à présenter les premières lignes d’une de ses lectures. Par commodité, je le fais mensuel plutôt qu’hebdomadaire. Sur ce, bonne lecture ! 🙂
PS : Je suis désolée d’être en retard et de ne publier que jeudi mais mon début de semaine a été un peu décalée pour diverses raisons et j’ai donc oublié que nous étions mardi, mardi. Oui cette excuse est ridicule XD.
***
Chapitre 1
L’obscurité m’enveloppait comme un linceul, et il n’y avait rien pour me distraire de mes souvenirs. Vifs, précis, ils m’assaillaient dès que mon esprit s’égarait.
Du fond des ténèbres surgirent une fois encore des images de flammes. Je sentis de nouveau la chaleur incandescente me lécher les joues, roussir mes cils et mes sourcils. J’eus un mouvement de recul instinctif, mais en vain : j’étais solidement ligotée à un poteau qui me meurtrissait le dos. Lorsque les premières cloques apparurent sur mon visage, il écarta la torche.
– Eteins les flammes ! aboya-t-il.
Les lèvres gercées, la bouche desséchée par la chaleur et la peur, je soufflai sur le feu de toutes mes forces.
– Pas en soufflant, idiote ! Avec ton esprit… Sers-toi de ton esprit pour éteindre les flammes.
Les yeux fermés, je me concentrai de toutes mes forces pour tenter de réduire le brasier. J’étais prête à tout, même à tenter l’impossible, pour qu’on cesse de me torturer.
– Essaie encore !
Et de nouveau la torche s’approcha de mon visage, m’aveuglant à travers mes paupières fermées.
– Enflamme ses cheveux, dit une voix plus jeune. Ça va lui donner envie de faire des efforts. Laisse-moi faire, père.
En reconnaissant cette seconde voix, je me raidis de terreur. Je me débattis pour me libérer, mes pensées se dispersèrent et, soudain, je sentis un bourdonnement sourd s’élever autour de moi. A ma grande surprise, cette vibration émanait de ma propre gorge. Elle ne cessait de s’intensifier, emplissait la pièce, étouffait les flammes…
Un claquement métallique interrompit le flot de mes souvenirs. Un faisceau jaune déchira l’obscurité, glissa sur les murs de la cellule ; la porte bascula sur ses gonds. Aveuglée par la lumière de la lanterne, je fermai les yeux et me prostrai dans un coin.
– Dépêche-toi, sale rat, si tu ne veux pas tâter du fouet !
Deux gardes du donjon accrochèrent une chaîne à mon collier de fer. Une douleur lancinante me brûla le cou, et je me redressai en titubant, les bras et les jambes alourdis par mes fers.
Détournant les yeux de la lumière de la lanterne, je suivis mes gardes le long du couloir principal de la prison. L’air était épais et vicié ; je pataugeai dans des flaques de nature incertaine.
Les gardes avançaient d’un bon pas, indifférents aux cris et aux injures qui s’élevaient sur notre passage.
– Oh, oh, oh ! J’en connais une qui ne va pas tarder à se balancer au bout d’une corde…
– Crac, boum, terminé, on n’en parle plus !
– Un rat de moins à nourrir.
– Emmenez-moi ! Je veux mourir aussi !
Ces paroles résonnaient en moi comme les tintements du glas… Nous nous arrêtâmes devant un escalier. Lorsque je tentai de gravir la première marche, je me pris les pieds dans mes chaînes et m’étalai de tout mon long. Les gardes me traînèrent jusqu’en haut de l’escalier. Les rebords des marches m’écorchèrent la peau et m’entaillèrent la chair des bras et des jambes. Après m’avoir fait franchir deux lourdes portes métalliques, on me laissa brusquement tomber sur le sol. Eblouie, je regardai autour de moi, et mes yeux se remplirent de larmes. Il y avait si longtemps que la lumière du jour ne s’était plus posée sur mon visage…
L’espace d’un instant, je fus prise de panique. « C’est la fin », me dis-je. Puis, me rappelant que la mort me délivrerait de cet enfer, je retrouvai mon calme.
Une vive impulsion sur mes chaînes m’obligea à me redresser. Je suivis les gardes aveuglément, les yeux fermés. A force de dormir sur la paille et d’être piquée par les puces, tout mon corps me démangeait, et je puais le rat. On ne me donnait qu’une maigre ration d’eau quotidienne, je ne la gaspillais pas à faire ma toilette.
Peu à peu, je m’habituai à la lumière, et regardai autour de moi. Les murs étaient nus. Où étaient passées les dorures et les tapisseries censées orner les couloirs du château ? Les dalles de pierre, sous mes pieds, étaient usées en leur milieu. Sans doute empruntions-nous les passages réservés aux gardes et aux domestiques. Soudain, nous passâmes devant une série de fenêtres ouvertes, et mon regard fut happé par le dehors.
L’intensité des couleurs me faisait mal aux yeux. L’herbe verte, les feuilles des arbres, les fleurs qui entouraient les allées et débordaient des jarres… tout était éclatant de beauté. J’inspirai profondément l’air frais venu du jardin. Comparé à la puanteur des excréments et de la transpiration, c’était un parfum délicieux, enivrant – quasiment un luxe. Une douce chaleur caressait mon corps habitué à l’atmosphère froide et humide du donjon.
A première vue, nous étions au début de la saison chaude. Ce qui signifiait que j’avais passé cinq saisons enfermée dans le donjon. Il ne faut que six saisons pour faire une année entière. Pourquoi avait-on attendu si longtemps pour m’exécuter?
Essoufflée, j’entrai, tirée par mes gardes, dans un vaste bureau. Des cartes du Territoire d’Ixia et des pays voisins tapissaient les murs. Des piles de livres entassés partout rendaient la circulation difficile. Çà et là se dressaient des bougies à moitié consumées; les papiers posés trop près étaient roussis par les flammes. Au centre de la pièce, une demi-douzaine de chaises entouraient une longue table de bois jonchée de papiers. Plus loin, près de la fenêtre, un homme était installé devant un petit secrétaire. Ses cheveux longs ondulaient dans la brise qui entrait par la fenêtre entrouverte.
Un frisson parcourut ma nuque. D’après les conversations des autres prisonniers, j’avais compris que, avant d’être exécutés, les condamnés à mort devaient confesser leurs crimes devant un fonctionnaire du palais.
Pantalon noir, chemise noire, col brodé de losanges rouges : l’homme portait l’uniforme des conseillers du Commandant. Son visage blême ne trahissait aucune émotion. Mais lorsqu’il leva le regard vers moi, le bleu limpide de ses yeux se troubla.
Prenant subitement conscience de mon apparence, je baissai les yeux, gênée. Mon uniforme était en loques, mes pieds nus couverts de cors. Mes longs cheveux noirs pendaient en touffes sales et emmêlées.
– Une femme ? Le prochain prisonnier à exécuter est une femme ? dit-il sur un ton incrédule. En l’entendant prononcer le mot « exécuter », je fus prise de sueurs froides. Le calme que j’avais trouvé m’abandonna. Je me serais effondrée en sanglotant, si les gardes n’avaient pas été là. J’avais appris à ne jamais leur montrer de faiblesse. L’homme se passa la main dans les cheveux.
– J’aurais dû prendre le temps de relire ton dossier.
Puis, levant les yeux vers les gardes :
– Vous pouvez disposer. Nous restâmes seuls. L’homme en noir m’indiqua une chaise devant son bureau. Je m’installai avec précaution, dans un tintement de chaînes. Il ouvrit un classeur et en feuilleta le contenu.
– Elena, c’est peut-être ton jour de chance, aujourd’hui.
Je ravalai une réplique sarcastique. Mon séjour en prison m’avait appris une leçon importante : ne jamais répondre à un supérieur. J’inclinai la tête et regardai mes pieds. L’homme resta quelques instants silencieux.
– Polie et respectueuse, dit-il enfin. Ça me plaît.
Son bureau parfaitement rangé contrastait avec le désordre ambiant. Outre mon dossier et quelques plumes, on n’y voyait que deux statuettes noires veinées d’argent. Deux panthères qui, si elles n’avaient pas été aussi minuscules, auraient paru vraiment vivantes.
– Tu as été reconnue coupable du meurtre de Reyad, l’unique fils du général Brazell.
Il s’interrompit et se massa les tempes.
– Voilà qui explique la présence de Brazell au château, et sa curiosité excessive pour le programme des exécutions.
Bien que ces propos ne me fussent pas vraiment adressés, le nom de Brazell me retourna le cœur. Mais aussitôt, je me rappelai que d’ici peu je ne craindrais plus rien ni personne. En quinze ans, l’armée du Territoire d’Ixia avait eu le temps de mettre en place un ensemble de lois sévères, le Code de Conduite. En temps de paix – ce qui était le cas depuis le coup d’Etat – rien n’excuse le fait de s’en prendre à la vie d’autrui. Tout meurtre est sanctionné de la peine capitale. Aucun cas de force majeure, aucun accident n’est reconnu. S’il est jugé coupable, l’accusé est emprisonné dans la geôle du Commandant en attendant d’être pendu sur la place publique.
– Je suppose que tu contestes le verdict, dit l’homme en soupirant. Tu vas me dire que c’était un cas de légitime défense, ou bien un coup monté.
– Non, dis-je d’une voix un peu éraillée. Je voulais le tuer.
Mon interlocuteur se redressa sur sa chaise et me lança un regard pénétrant. Puis il se mit à rire.
– En fin de compte, j’ai peut-être tiré le bon numéro. Elena, je t’offre un choix. Etre exécutée, ou entrer au service du Commandant Ambroise. Notre goûteur vient de mourir, il nous faut un remplaçant.
Je le dévisageai, bouche bée. Il ne pouvait s’agir que d’une plaisanterie. Cela l’amusait sûrement de faire naître l’espérance sur le visage d’un condamné, puis de la voir disparaître lorsque le malheureux comprenait qu’il était toujours destiné à la potence. Néanmoins, je jouai le jeu.
– Il faudrait être fou pour refuser.
– Réfléchis bien. Goûteur, c’est un poste à vie. L’apprentissage est très éprouvant ; beaucoup n’y survivent pas. Car pour identifier correctement les poisons, il faut les avoir goûtés.
Il remit en ordre les papiers de mon dossier.
– Tu auras ta propre chambre dans le château, mais tu passeras la plus grande partie de ton temps avec le Commandant. Aucun jour de repos. Interdiction de te marier ou d’avoir des enfants. Certains choisissent la mort. Ils préfèrent la voir venir une fois pour toutes… plutôt que de la craindre à chaque bouchée.
Son sourire prédateur révéla des dents blanches et régulières. Cet homme ne plaisantait pas ! On m’accordait vraiment une chance de vivre… Je préférais de loin entrer au service du Commandant que pendre au bout d’une corde, ou passer le reste de mes jours à moisir dans le donjon. Les questions se bousculaient en moi : « Comment peuvent-ils faire confiance à une meurtrière ? Qu’est-ce qui m’empêche d’assassiner le Commandant ou de m’enfuir ? »
– Qui goûte les plats du Commandant, en attendant ?
Je n’osai poser les autres questions, de peur que cet homme ne s’aperçoive de son erreur et ne décide de me pendre.
– C’est moi. Tu comprends que je sois pressé de trouver un remplaçant. Par ailleurs, selon le Code de Conduite, le poste doit être attribué à quelqu’un qui a perdu son droit à la vie.
Incapable de rester assise, je repoussai ma chaise et me mis à claudiquer de long en large, traînant mes chaînes derrière moi. Les cartes épinglées au mur montraient des positions militaires stratégiques. Les livres qui débordaient des étagères et s’amoncelaient sur le parquet traitaient de la sécurité et des techniques d’espionnage. D’après le nombre et l’état des bougies, cet homme veillait tard toutes les nuits. Je me retournai vers lui. Ce ne pouvait être que Valek, chef de la sécurité personnelle du Commandant et directeur du vaste réseau de renseignements du Territoire d’Ixia.
– Que dois-je dire au bourreau ? demanda-t-il.
– Dites-lui que je passe mon tour.
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