Hello à tous ! Traditionnel rendez-vous du mois pour cette semaine et j’ai décidé de vous parler d’un one-shot que j’ai lu en parallèle de ma lecture commune avec Nina, Sorcery of Thorns de Margaret Rogerson. Sorcery of Thorns est un roman publié chez Bragelonne dans lequel nous suivons Elisabeth, jeune apprentie bibliothècaire qui va devoir s’allier au sorcier Nathaniel Thorn pour résoudre une épineuse (sans mauvais jeu de mots) enquête ! Je ne vous en dis pas plus sur l’intrigue ou sur mes impression, si ce n’est que j’ai suffisamment aimé ce livre pour en faire une chronique – quoi que j’aurais pu aussi le détester et le chroniquer. Enfin, aucune importance, rendez-vous la semaine prochaine pour en savoir plus ! En attendant, je vous laisse avec cet avant-goût et j’espère qu’il vous plaira … 🙂
Petit Rappel : Ce rendez-vous a été créé par Ma Lecturothèque pour faire découvrir les premières lignes d’un livre, souvent notre lecture en cours. Il est censé être hebdomadaire mais je le fais mensuel par commodité avec mon rythme de lecture. La liste des participant.e.s se trouve comme d’habitude en bas d’article.
Sur ce, bonne lecture 🙂
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« À toutes les filles qui se sont trouvées à travers les livres. »
Chapitre premier
La mort pénétra dans la Grande Bibliothèque d’Estive à la nuit tombée, à bord d’un coche. Elisabeth assista à son arrivée depuis la cour, et vit les chevaux aux yeux exorbités et à la bouche écumante franchir le portail dans un bruit de tonnerre. Les derniers rayons du soleil couchant illuminaient les fenêtres de la tour de la Grande Bibliothèque, les parant de reflets rougeoyants qui donnaient l’impression que l’intérieur du bâtiment était la proie des flammes. Mais la lumière reflua rapidement pour ne plus éclairer bientôt que les toits, aux parapets décorés d’anges et de gargouilles qui projetèrent de longs doigts d’ombre dans le jour déclinant.
Un emblème doré scintilla sur le flanc du coche alors que celui-ci s’arrêtait dans la cour : une plume et une clé entrecroisées, l’insigne du Collegium. Des barreaux de fer transformaient l’arrière de la voiture en cellule. Malgré la fraîcheur du soir, Elisabeth sentit ses mains devenir moites.
— Scrivener, l’interpella la femme derrière elle. Tu as ton sel ? Et tes gants ?
Elisabeth tapota les sangles en cuir croisées sur sa poitrine pour en vérifier les petites poches, puis porta la main à la boîte à sel accrochée à sa ceinture.
— Oui, directrice.
Il ne lui manquait qu’une épée, ce qu’elle ne pourrait obtenir qu’une fois devenue gardienne, après plusieurs années de formation au Collegium. Rares étaient les bibliothécaires à y parvenir ; la plupart abandonnaient en cours de route, quand ils n’y laissaient pas la vie.
— Parfait.
La directrice était une femme élégante et réservée, au visage d’une pâleur de neige et aux cheveux aussi rouges que le cœur d’un brasier. Une longue cicatrice lui balafrait la joue gauche de la tempe à la mâchoire, et tirait en permanence sur le coin de sa bouche. Comme Elisabeth, elle portait des sangles en cuir sur la poitrine, mais elle était vêtue d’un uniforme de gardienne, et non d’une robe d’apprentie. La lueur des lanternes se reflétait sur les boutons en laiton de son manteau bleu nuit, ainsi que sur ses bottes soigneusement ses mots et ne souriait jamais.
— N’oublie pas, reprit la directrice. Une fois dans la crypte, si tu entends une voix dans ta tête, ne prête pas attention à ce qu’elle te murmurera. Il s’agit d’un spécimen de catégorie huit, vieux de plusieurs siècles, qui ne doit pas être pris à la légère. Depuis sa création, il a conduit des dizaines de personnes à la folie. Es-tu prête ?
Elisabeth déglutit péniblement. Le nœud dans sa gorge l’empêchait de parler et elle acquiesça en essuyant ses paumes moites sur sa robe. Elle peinait déjà à croire que la directrice daigne lui adresser la parole, alors qu’elle l’ait choisie pour l’assister lors d’un transfert à la crypte… Une telle responsabilité outrepassait largement les attributions d’une simple apprentie bibliothécaire. L’espoir s’agitait en elle à la manière d’un moineau prisonnier d’une maison et voletant au hasard en se cognant aux murs, épuisant ses forces dans son aspiration à rejoindre l’infini du ciel. Et la peur planait derrière lui comme une ombre.
Elle m’offre une chance de prouver que je suis digne de suivre l’entraînement des gardiens, pensa-t-elle. Si j’échoue, j’en mourrai. Ils pourront toujours m’enterrer dans le potager pour servir d’engrais aux radis, histoire que je me rende utile une dernière fois.
La directrice s’avança dans la cour et Elisabeth la suivit. Le gravier crissa sous leurs pas. Une odeur écœurante alourdit l’air à mesure qu’elles se rapprochèrent, évoquant du cuir détrempé pourrissant sur la grève. Elisabeth avait grandi au sein de la Grande Bibliothèque, où elle avait baigné dans les effluves d’encre et de parchemin des manuscrits magiques, mais cela dépassait de loin tout ce à quoi elle était accoutumée. La puanteur lui piquait les yeux et lui donnait la chair de poule. Elle rendait nerveux même les chevaux, qui regimbaient dans leurs brancards en projetant des gravillons sous leurs coups de sabot, sourds aux efforts du cocher pour les calmer. Dans un certain sens, Elisabeth les enviait, car ils ignoraient tout de la nature de ce qu’ils avaient transporté depuis la capitale.
Deux gardiens à l’avant du coche sautèrent au sol, la main sur la poignée de leur épée. Elisabeth se força à ne pas baisser les yeux quand ils la dévisagèrent avec dureté ; elle redressa le dos et leva le menton, en s’efforçant d’adopter la même froideur. Peut-être ne gagnerait-elle jamais le droit de porter l’épée, mais au moins pouvait-elle paraître assez brave pour en manier une.
La directrice s’empara de son trousseau de clés et ouvrit les grilles à l’arrière du coche, qui pivotèrent dans un grincement sonore. Au premier regard, Elisabeth crut que la cellule aux barreaux de fer, plongée dans la pénombre, était vide. Puis elle distingua un objet sur le sol : un coffret en fer, de forme carrée et aplatie, fermé par plus d’une dizaine de serrures. Aux yeux d’un profane, de telles précautions auraient semblé absurdes, mais il aurait été vite détrompé : dans le silence du crépuscule, un choc sourd se fit entendre à l’intérieur du coffre, assez puissant pour faire osciller la voiture et agiter les grilles sur leurs gonds. Un des chevaux poussa un hennissement inquiet.
— Hâtons-nous, ordonna la directrice.
Elle saisit une poignée du coffre, tandis qu’Elisabeth prenait l’autre. Elles le soulevèrent et se dirigèrent vers une porte surmontée d’une inscription sculptée dans la pierre, à peine lisible dans la pénombre. Sur le bandeau cintré tenu de part et d’autre par un ange larmoyant s’affichait la devise des gardiens : OFFICIUM ADUSQUE MORTEM. Le devoir jusqu’à la mort.
Elles s’engagèrent dans un long couloir aux murs de pierre brunis par la lueur dansante des torches. La lourdeur du coffre commençait déjà à tirer sur le bras d’Elisabeth. Il ne s’agitait plus, mais son calme n’avait rien pour la rassurer, car elle soupçonnait le livre à l’intérieur d’être en train de tendre l’oreille. Il attendait.
Un autre gardien était posté à l’entrée de la crypte. Quand il vit qu’Elisabeth accompagnait la directrice, un éclat haineux brilla dans ses petits yeux. Il s’agissait du gardien Finch. C’était un homme grisonnant aux cheveux courts, au visage si bouffi que ses yeux semblaient s’y enfoncer comme des raisins secs dans la pâte d’un gâteau. Il jouissait d’une sinistre réputation chez les apprentis, car il avait la main leste et leur faisait tâter de sa badine à la moindre raison.
Elisabeth serra la poignée du coffre à s’en faire mal, se crispant instinctivement dans la crainte d’un coup, mais Finch n’osa pas s’en prendre à elle devant la directrice. En marmonnant dans sa barbe, il tira sur une chaîne et la herse se releva lentement, jusqu’à ce que ses pointes noires remontent au-dessus de leurs têtes. Elisabeth avança d’un pas et soudain, le coffre fit une embardée. — Attention, aboya la directrice alors que toutes deux allaient cogner contre le mur de pierre, manquant de perdre l’équilibre.
L’estomac d’Elisabeth fit un bond. Sa botte pendait dans le vide, au bord d’un escalier en spirale qui s’enfonçait dans les ténèbres en une plongée vertigineuse.
L’horrible vérité se révéla à elle : le grimoire avait essayé de les faire tomber. Elle imagina le coffre qui dégringolait les marches, percutait les dalles au pied de l’escalier et s’ouvrait sous le choc. Et tout aurait été sa faute…
La main de la directrice se referma sur son épaule.
— Tout va bien, Scrivener. Oublions ça. Tiens-toi bien à la rambarde et allons-y.
Elisabeth se força à détourner le regard du visage réprobateur de Finch et elles entamèrent leur descente. Un froid souterrain remontait des profondeurs en charriant une odeur de roche et de moisissure, mêlée d’un parfum moins naturel. La pierre elle-même exsudait la malveillance des choses anciennes confinées là, dans les ténèbres, depuis des siècles, consciences qui ne sommeillaient pas, esprits qui ne rêvaient pas. Dans les entrailles sous la terre, il régnait un silence si pénétrant qu’Elisabeth n’entendait plus que le battement du sang à ses oreilles.
Elle avait passé son enfance à explorer les moindres recoins de la Grande Bibliothèque et à chercher à en découvrir les innombrables mystères, mais elle n’était encore jamais entrée dans la crypte. Toute sa vie elle avait ressenti la présence de cet espace interdit dans les sous-sols, aussi oppressante que l’idée d’un monstre tapi sous son lit.
C’est ma chance, se répéta-t-elle. Elle ne pouvait pas se laisser dominer par la peur.
Elles émergèrent dans une chambre souterraine qui ressemblait à la crypte d’une cathédrale. Les murs, le plafond et le sol étaient tous constitués de la même pierre grise. Les colonnes cannelées et les voûtes avaient été édifiées avec art et révérence, et des statues d’anges trônaient dans des niches le long des murs, illuminées par la flamme vacillante des chandelles à leurs pieds. De leurs yeux sombres et attristés, elles surveillaient les rangées d’étagères en fer qui dessinaient des allées au centre de la crypte. À la différence de celles des parties supérieures de la bibliothèque, ces étagères étaient soudées au sol. Des chaînes retenaient les coffres verrouillés, qui pouvaient se tirer des étagères un peu à la manière de tiroirs.
Elisabeth tenta de se rassurer en se disant que c’était son imagination qui lui faisait entendre des chuchotements en provenance des rayonnages. Une épaisse couche de poussière recouvrait les chaînes ; la plupart des coffres n’avaient pas été dérangés depuis des décennies, et leurs résidents devaient dormir profondément. Pourtant, un picotement désagréable lui remonta la nuque, lui donnant l’impression d’être observée.
La directrice la guida par-delà les rangées d’étagères, vers une alcôve comportant en son centre une table rivée au sol. Une unique lampe à huile projetait une lueur jaunâtre sur sa surface constellée de taches d’encre. Le coffre résista de manière troublante quand elles le déposèrent à côté de quatre entailles profondes qui balafraient le bois de la table et faisaient penser à une griffure géante. Elisabeth lutta pour arracher ses yeux de ces entailles. Elle savait ce qui les avait faites ; elle savait ce qui se produisait quand un grimoire devenait incontrôlable.
Il se transformait en Maléfict.
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