Premières Lignes #27

Hello à tous ! Comme promis dans ma précédente chronique sur Nevernight de Jay Kristoff, je me suis débrouillée pour vous offrir un petit aperçu de l’écriture de l’auteur et surtout de son épatant premier chapitre ! Je n’ai pas pu le mettre en entier, il est vraiment très long mais je pense que les premiers parapgraphes parlent d’eux-mêmes 🙂 . Je ne vous refais pas tout mon avis (la chronique ets juste ici pour les curieux & les retardataires), je vous redirai juste mon coup de coeur pour ce livre envoûtant <3.

Petit Rappel : Ce rendez-vous a été créé par Ma Lecturothèque pour faire découvrir les premières lignes d’un livre, souvent notre lecture en cours. Il est censé être hebdomadaire mais je le fais mensuel par commodité avec mon rythme de lecture. La liste des participant.e.s se trouve comme d’habitude en bas d’article.
Sur ce, bonne lecture 🙂

***

Caveat Emptor

Les gens se chient souvent dessus lorsqu’ils trépassent.Leurs muscles se relâchent, leur âme se libère, et tout le reste… s’échappe. Malgré tout l’amour que leur public porte à la mort, les dramaturges font rarement mention de cette réalité. Quand le héros rend son dernier soupir dans les bras de l’héroïne, ils n’attirent pas l’attention sur la tache qui apparaît sur ses collants ni sur la puanteur qui fait pleurer sa dame lorsqu’elle se penche pour son baiser d’adieu.Prenez cela pour un avertissement, ô, chers amis : sachez que votre narrateur ne partage pas cette retenue. Et si les réalités désagréables d’un bain de sang liquéfient le contenu de vos intestins, sachez aussi que ces pages parlent d’une fille qui était au meurtre ce que les maestros sont à la musique. Qui faisait aux fins heureuses ce qu’une lame de scie fait à la peau.Elle-même est morte, à présent – des mots susceptibles d’arracher un grand sourire au juste comme au méchant. Notre héroïne a péri en laissant derrière elle une république en cendres ; une ville de ponts et d’os gisant au fond de la mer. Et pourtant je suis sûr qu’elle trouverait encore un moyen de me tuer si elle savait que j’ai mis ces mots par écrit. Qu’elle m’ouvrirait le ventre et donnerait mes entrailles à l’Obscurité affamée. Il me semble pourtant nécessaire d’essayer de séparer le vrai du faux dans ce qu’on raconte à son sujet.Et qui mieux que moi pour le faire, moi qui la connaissais si intimement ?On l’appelait parfois la Fille Pâle. Ou la Faiseuse de roi. Ou la Corneille. Mais on ne l’appelait pas, le plus souvent. C’était une tueuse de tueurs, dont la fin n’est connue que de la déesse et de moi-même. Et toutes ces morts, lui avaient-elles valu la gloire ou l’infamie ? Je n’ai jamais pu faire la différence entre les deux, il me faut l’avouer. Mais bon, je n’ai jamais vu les choses comme vous les voyez.Je n’ai jamais vraiment vécu dans le monde qui est le vôtre.Elle non plus, à vrai dire.Et c’est sans doute pour cela que je l’aimais.

LIVRE 1
QUAND TOUT N’EST QUE SANG

CHAPITRE 1
Premières fois

***

Le garçon était splendide.
Une peau de caramel, un sourire doux comme du miel. Des boucles noires sur le côté droit d’une tignasse indisciplinée. Des mains puissantes, des muscles d’airain – et ses yeux, ô, par les Filles, ses yeux… profonds de cinq mille brasses. Ce gamin vous aurait fait rire alors même qu’il vous noyait.
Ses lèvres effleurèrent celles de la jeune femme – elles étaient douces, gorgées de chaleur. Ils se tenaient entrelacés sur le pont des Soupirs, sous un ciel ourlé d’un fard violet. Ses mains parcoururent le dos de la fille, qui sentit sa peau se hérisser au passage de ses doigts. La caresse de sa langue contre la sienne la fit frissonner – son cœur battait la chamade, ses entrailles hurlaient de désir.
Ils se séparèrent tels des danseurs avant l’interruption de la musique, quand les instruments à cordes continuent de vibrer. Elle ouvrit les yeux, pour découvrir qu’il la fixait dans la lumière fuligineuse. Un canal murmurait sous leurs pieds – ses eaux allaient se déverser paresseusement dans l’océan. Exactement ce que la jeune femme souhaitait. Tout était parfait. Elle priait simplement pour ne pas se noyer.
Sa dernière non-nuit dans cette cité. Une partie de son être ne voulait pas lui dire au revoir. Mais avant de partir, elle voulait savoir. Elle se devait bien ça, à tout le moins.« Tu es sûre ? » lui demanda-t-il.
Elle le fixa droit dans les yeux.
Lui prit la main.
« Oui », chuchota-t-elle. 

L’homme était répugnant.
Une peau sclérosée, une barbe de trois jours, un menton fuyant perdu dans des replis de graisse. Une écume de salive à la bouche, de la couperose sur les joues et le nez – et ses yeux, ô, par les Filles, ses yeux. Bleus comme un ciel illuminé par trois soleils. Aussi brillants que des étoiles dans la quiétude de la vrainuit.
Ses lèvres collées à la chope, il vida sa bière au beau milieu d’un concert de rires et de musique. Après s’être attardé quelques instants supplémentaires dans les profondeurs de la taverne, il lança une pièce de monnaie sur le bar en bois-de-fer et, d’un pas guère assuré, retrouva la lumière des soleils. Ses yeux suivaient tant bien mal les galets de rues bien plus bondées qu’à son arrivée ; il se fraya un chemin à travers la foule, n’aspirant qu’à rentrer chez lui pour dormir d’un sommeil sans rêves. Il ne leva pas les yeux. Ne repéra pas la silhouette accroupie au sommet d’une gargouille de pierre de l’autre côté de la rue, vêtue de blanc plâtre et de gris mortier.
La jeune femme le regarda traverser d’un pas claudicant le pont des Frères. Une fumée parfumée au clou de girofle s’échappa dans les airs lorsqu’elle souleva son masque d’arlequin pour tirer sur son cigarillo. Le spectacle de ce sourire de charogne, de ces mains noueuses, la faisait frissonner ; son cœur battait la chamade, et ses entrailles la brûlaient d’impatience.
Sa dernière non-nuit dans cette cité. Une partie de son être ne voulait toujours pas lui dire au revoir. Mais avant de partir, elle voulait qu’il sache. Elle lui devait bien ça, à tout le moins.
Une ombre en forme de chat se tenait sur le toit auprès d’elle ; plate comme du papier, semi-translucide, elle avait la noirceur de la mort. Sa queue s’enroulait autour de sa cheville, de manière presque possessive. Des eaux fraîches suintaient des veines de la ville pour se déverser dans l’océan. Exactement ce que la jeune femme souhaitait. Tout était parfait. Elle priait simplement pour ne pas se noyer. « tu es sûre… ? » lui demanda le chat composé d’ombres.
La jeune femme regarda sa silhouette glisser vers son lit.
Hocha lentement la tête.
« Oui », murmura-t-elle.

La chambre était petite, austère – la fille ne pouvait s’offrir mieux. Mais elle avait allumé des bougies et posé un bouquet de nénuphars sur les draps immaculés, aux coins rabattus comme pour inviter le garçon à s’y glisser ; celui-ci sourit en découvrant la charmante mise en scène.
Elle alla se poster devant la fenêtre pour contempler la grande cité immémoriale de Sepulcra. Du marbre blanc et de la brique ocre, des flèches gracieuses qui embrassaient le ciel rougeoyant. Les Côtes s’élevaient à des centaines de mètres ; de minuscules fenêtres éclairaient des appartements taillés dans l’os ancien. Des canaux s’écoulaient des creux de l’Épine dorsale, sillonnant la peau de la ville telles des toiles d’araignées qui auraient perdu la raison. De longues ombres drapaient les trottoirs bondés, signe que le deuxième soleil allait bientôt rejoindre le premier derrière l’horizon – laissant leur troisième frère, d’un rouge maussade, monter la garde face aux périls de la non-nuit.
Oh, si seulement ç’avait été la vrainuit.
Il ne l’aurait pas vue, dans ce cas-là.
Elle n’était pas sûre de vouloir qu’il la voie traverser cette épreuve.
Le garçon vint se poster derrière elle, enveloppé d’un mélange de sueur et de tabac. Il passa ses mains autour de sa taille – ses doigts glissaient telles des flammes le long de ses hanches. Elle se mit à respirer plus lourdement, à ressentir des picotements en un lieu ancien, profond. Des cils battaient contre ses joues comme des ailes de papillon ; les mains du garçon tournèrent autour de son nombril, dansèrent sur ses côtes – pour enfin remonter jusqu’à sa poitrine. Lorsqu’il fourra sa tête dans ses cheveux, une vague de chair de poule lui envahit la peau. Elle arqua sa colonne vertébrale, se colla contre son entrejambe, une main fourrée dans ses boucles indisciplinées. Elle avait le souffle trop court. N’arrivait plus à parler. Ne voulait pas que ça commence, ou prenne fin.
La jeune femme se retourna, soupira lorsque leurs lèvres se retrouvèrent ; batailla tant elle tremblait avec les boutons des manches à volants du garçon. Une fois leurs chemises retirées, elle écrasa sa bouche contre la sienne tout en se jetant sur le lit. Ça se jouait entre elle et lui, à présent. Peau contre peau. À qui appartenaient ces gémissements ? Elle n’aurait su le dire.
La douleur était insupportable – trempée de sueur, la fille explorait de ses mains tremblantes les vallons musculeux de cette poitrine imberbe, la ligne de chair en forme de V qui descendait jusqu’à son pantalon. Elle glissa ses doigts à l’intérieur, y découvrit une chaleur palpitante, aussi lourde que du fer. C’était… terrifiant. Étourdissant. Le garçon gémit, frémissant sous ses caresses comme un poulain nouveau-né, le souffle court.
Jamais de toute sa vie elle n’avait eu aussi peur.
Pas une fois en seize ans.
« Baise-moi… » haleta-t-elle. 

La chambre était luxueuse – le genre que seuls les plus riches peuvent s’offrir. Pourtant il y avait des bouteilles vides sur le bureau et des fleurs fanées sur la table de nuit – à croire qu’elles n’avaient pas résisté à l’odeur de renfermé. La jeune femme trouva du réconfort dans le spectacle de cet homme qu’elle détestait tant, et qui était si seul. Par la fenêtre, elle le regarda suspendre sa redingote, poser un tricorne usé sur une carafe vide. Elle pouvait le faire, ne cessait-elle de se répéter. Son corps était une arme, aussi dure et aiguisée que de l’acier.
Perchée sur le toit d’en face, elle contempla la cité de Sepulcra – ses pavés ensanglantés, ses tunnels secrets, ses imposantes cathédrales faites d’os étincelants. Les Côtes qui poignardaient le ciel, les canaux tortueux qui s’écoulaient de l’Épine dorsale. De longues ombres drapaient les trottoirs bondés, signe que le deuxième soleil allait bientôt rejoindre le premier derrière l’horizon – laissant leur troisième frère, d’un rouge maussade, monter la garde face aux périls de la non-nuit.
Oh, si seulement ç’avait été la vrainuit.
Il ne l’aurait pas vue, dans ce cas-là.
Elle n’était pas sûre de vouloir qu’il la voie dans cette situation.
De ses doigts agiles, la jeune femme attira à elle les ombres. Tissa ces fils de tulle noir jusqu’à ce qu’ils enveloppent ses épaules à la manière d’un manteau. Elle s’effaça du monde, devint presque translucide – comme une tache sur la ligne d’horizon de la ville – et sauta par-dessus le vide jusqu’au rebord de la fenêtre. Sitôt celle-ci déverrouillée, la jeune femme se glissa dans la pièce sans faire davantage de bruit que le chat d’ombres qui la suivait. Un stylet en main, elle se mit à respirer plus lourdement, à ressentir des picotements en un lieu ancien, profond. Accroupie dans un coin, ses cils battant contre ses joues comme des ailes de papillon, elle le regarda remplir une tasse de ses mains tremblantes.
Elle haletait trop bruyamment, toutes ses leçons s’emmêlaient dans sa tête. Mais l’homme était trop ensuqué pour le remarquer – perdu qu’il était dans le souvenir de mille cous qui se brisent, de mille paires de pieds qui se balancent sur l’air du bourreau. Ses doigts blanchirent dans la pénombre sur le manche du poignard. Elle avait le souffle trop court. N’arrivait plus à parler. Ne voulait pas que ça commence, ou prenne fin.
Il soupira tout en buvant, batailla tant il tremblait avec les boutons de ses manches à volants. Une fois sa chemise retirée, il alla se coucher d’un pas clopinant. Ça se jouait entre elle et lui, à présent. Souffle contre souffle. Sa fin ou la sienne ? Elle n’aurait su le dire.
L’attente était insupportable, la jeune femme se sentait frissonner dans l’obscurité en raison de la sueur qui l’imprégnait. Elle se força à se rappeler qui elle était, ce que cet homme lui avait pris ; passa en revue les conséquences d’un potentiel échec. Rassérénée, elle se débarrassa de son manteau d’ombres et alla à sa rencontre.
L’homme poussa un cri, sursautant comme un poulain nouveau-né en la voyant s’avancer dans la lumière rouge du soleil, un sourire d’arlequin en lieu et place du sien.
Jamais de toute sa vie elle n’avait vu quelqu’un d’aussi effrayé.
Pas une fois en seize ans.
« Putain de merde… » lâcha-t-il.

***

La liste des participant.e.s :

• Au baz’art des mots
• Light & Smell
• Les livres de Rose
• Lady Butterfly & Co
• Le monde enchanté de mes lectures
• Cœur d’encre
• Les tribulations de Coco
• Vie quotidienne de Flaure
• Ladiescolocblog
• Selene raconte
• La Pomme qui rougit
• Les lectures d’Emy
• Aliehobbies
• Ma petite médiathèque
• Pousse de ginkgo
• À vos crimes
• L’univers de Poupette
• Le parfum des mots
• Chat’Pitre
• Les lectures de Laurine
• Lecture et Voyage
• Eleberri
• Les lectures de Nae
• Claire Stories 1, 2, 3
• Tales of Something
• Read For Dreaming
• Ju lit les mots
• Illie’z Corner
• Voyages de K
• Ma Lecturothèque
• Les lectures de Val
• Le petit monde d’Elo

Par Sophie.


Une réflexion sur “Premières Lignes #27

On en discute ? ;)